Dites à Tiken Jah Fakoly de ne pas venir chanter « Quitte le pouvoir » à Kinshasa

8 juillet 2015

Dites à Tiken Jah Fakoly de ne pas venir chanter « Quitte le pouvoir » à Kinshasa

Tiken Jah Fakoly en prestation au Festival Amani à Goma le 17 Février 2015. Photo: Charly Kasereka
Tiken Jah Fakoly en prestation au Festival Amani à Goma le 17 février 2015. Photo: Charly Kasereka

 

Lorsque j’ai appris que l’artiste Ivoirien Tiken Jah Fakoly était invité en République Démocratique du Congo dans le cadre de la programmation du Festival de Jazz de Kinshasa, JazzKif et de la fête de la musique célébrée chaque 21 juin, je me suis imaginé ce que le gouvernement de la RDC pouvait faire pour empêcher la prestation de Tiken Jah Fakoly, cet artiste, connu pour ses textes critiques à l’encontre de plusieurs dirigeants Africains et de gouvernements dont l’espace démocratique dans leur pays reste étranglé. Comment dans un pays qui réprime les citoyens qui manifestent pour demander le respect de l’ordre constitutionnel, un musicien aussi engagé pour la sauvegarde de la jeune démocratie en Afrique pourrait prester sur scène sans se heurter à la répression et la censure devenues récurrentes à l’approche des échéances électorales?

J’ai exprimé mes craintes quant à la tenue de ce concert de Tiken Jah Fakoly vus les titres révolutionnaires dont il est auteur et qui devrait constituer le répertoire qu’il allait interpréter à Kinshasa. Ma première crainte était que le musicien se fasse arrêté ou se voir expulsé pour avoir appelé le peuple Congolais au soulèvement face à un gouvernement offusquant de plus en plus les libertés fondamentales de ses citoyens et critiqué pour avoir initié quelques magouilles tendant à le maintenir au pouvoir en violation des dispositions constitutionnelles, qui limitent à deux, le nombre de mandat du président de la République. Tiken risquait de subir le sort d’autres activistes ou des opposants s’étant exprimés contre la révision de la constitution ou tout autre manœuvre qui permettre aux dirigeants actuels d’être aux affaires au delà du délai constitutionnel. Aujourd’hui une trentaine d’opposants et de militants se retrouvent sous le verrou pour avoir dit non à un troisième mandat pour l’actuel chef d’Etat. Chose irritant, la plupart de ces détenus politiques sont incarcérés sans aucun procès et font l’objet de torture lors de leurs interrogatoire signalent les ONG de défense de droits humains.

Ma deuxième crainte reposait sur le sort de spectateurs qui devraient venir nombreux, prendre part à cette production scénique de l’Ivoirien Tiken Jah Fakolly.  Peu avant le concert raté de Tiken Jah Fakoly à Kinshasa, les Kinois (habitants de Kinshasa), connus pour leur goût à la musique, étaient dans la grande déception de ne pas voir joué sur scène, l’artiste Belge d’origine Rwandaise Stromae, qui venait d’annuler aussi son concert prévu à Kinshasa le 13 juin officiellement pour des raisons sanitaires évoquées par son équipe. Pour les Kinois, une semaine après l’annulation du concert de Stromae, l’annonce d’un Tiken Jah Fakolly sur le podium était non seulement une occasion pour se soulager du concert annulé de l’artiste Belge dont le remboursement de billets d’entrée reste encore hypothétique, mais aussi une occasion propice pour soutenir le message que devrait livré l’auteur de la chanson « Quitte le pouvoir » vue la position qu’il avait manifesté vis-à-vis de l’alternance en Afrique plus particulièrement au Burundi  lors de manifestations anti-troisième mandat de Pierre Nkuruziza et en RDC suite à l’arrestation de militants Africains pro démocratie (Filimbi et Y’en a marre) en mars dernier à Kinshasa.

Mais quelle crainte avais-je pour ces gens qui devraient juste venir assister à un concert et qui n’aurait rien à avoir avec la politique? Laissez-moi dire un mot.  Lors de la rencontre des activistes Sénégalais du mouvement Y’en a marre et Burkinabè du Balai Citoyen avec leurs confrères Congolais du mouvement Filimbi, la plupart des participants à la rencontre avaient été arrêtés, y compris un diplomate Américain. Le gouvernement Congolais les avait accusés d’avoir participé à un mouvement terroriste et de tentative de déstabilisation des institutions de la République. Certains d’entre ces militants arrêtés restent jusqu’à présent sous le verrou sans toute forme de procès en sus de la demande de libération de ces militants par la commission parlementaire mise en place pour éclairer les circonstances d’arrestation de ces activistes. Cette commission a indiqué que les activités des collectifs Filimbi, Y’en a marre ou Balai Citoyen n’avaient aucune vision en lien avec le terrorisme ou d’avec toute tentative de déstabiliser les institutions de la RDC.

Voilà où résidait ma crainte. La similitude  de ce concert du Festival de Jazz de Kinshasa avec la rencontre de ces militants évoquée ci-haut. Cette ressemblance se manifeste dans le cas où pour la rencontre Filimbi, les ressortissants de pays de l’Afrique de l’ouest venus prêcher à leurs pairs Congolais la révolution [selon le gouvernement Congolais] ayant influencé les événements qui ont mis fin aux aventures de présidents de leurs pays respectifs (Sénégal et Burkina Faso) à briguer un troisième mandat-alors que la rencontre avait pour thème l’engagement citoyen- et de l’autre coté un concert avec comme tête d’affiche une icône, Tiken Jah Fakoly, venu de la Cote d’Ivoire, pays où un ex président avait aussi quitté le pouvoir sous la pression, venu chanter des titres à l’instar de « Quitte le pouvoir » ou « Mon pays va mal » dans une République Démocratique du Congo, où le président est soupçonné de vouloir tenter un glissement pour un troisième mandat que ne lui autorise pas la Constitution et où la pauvreté, la censure, la répression, la fraude, la corruption,… constituent de maux qui rongent la riche en potentiel RDC.

D’où j’avais lancé mon appel à ce raggaeman d’exclure du répertoire qu’il va interpréter à Kinshasa, les chansons pouvant le faire arrêté, lui et ses spectateurs qui couraient sans le savoir le risque de poursuite pour association des malfaiteurs ou outrage voire atteinte au chef de l’Etat. « Tiken ne t’en orgueilles pas pensant que le gouvernement Congolais n’aura pas ce courage d’interpeller plus de mille personnes. Mais ici si la police échoue son job, l’armée vient en sa rescousse. Aussi ne t’imagine pas qu’il n’y aura pas de prisons spacieuses pour accueillir de milliers de spéctateurs arrêtés dans ta suite. Ceux qui n’auront pas de place dans les prisons et cachots de la capitale, peuvent être  considérés à titre de personnes indigentes. D’où une chance peut leur être accordée d’aller rejoindre leurs paires qui reposent dans une fosse commune à Maluku, dans la périphérie de Kinshasa » avais-je lancé à ce musicien dans mon appel, vu la critique dont il pouvait se faire attirée car ayant appelé les artistes Congolais à prendre position et s’engager pour leur pays par le message de leurs œuvres discographiques lors de sa prestation scénique au Festival Amani à Goma en février dernier.

Ma crainte est vite restée en suspend car Tiken Jah Fakoly n’a pas pu jouer au JazzKif comme prévu. Il a été refoulé vendredi 19 juin dernier avec les membres de son staff. Officiellement, le gouvernement Congolais reprocherait à Tiken Jah Fakoly et sa bande de tentative de fraude fiscale. « Venus avec un visa pour touristes, Tiken Jah Fakoly et sa cohorte n’avaient pas indiqué qu’ils allaient s’adonner à une activité professionnelle, qui implique le paiement de taxe, d’où une tentative de fraude fiscale, qui a emmené au refoulement de cette team d’Ivoiriens» avait lâché à la presse le ministre Congolais de médias et porte-parole du gouvernement Congolais, Lambert Mende.

Toutefois, ce qui semble être un prétexte de Kinshasa au refoulement de Tiken Jah Fakoly en RDC, restera valide si et seulement si le gouvernement actuel de la RDC ne tournera pas les canons contre son peuple quand l’heure sonnera pour celui-ci d’entonner à l’unisson les chansons du répertoire censuré par Kinshasa de Tiken Jah Fakoly comme l’a fait Pierre Nkuruziza.

Par Fiston Mahamba Larousse à Beni, RDC

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